Afrique centrale : la Cemac face au défi de son intégration
Afrique centrale : la Cemac face au défi de son intégration
REPORTAGE. Tenu à Yaoundé, au Cameroun, le sommet des chefs d'État des six pays de la Cemac s’est conclu sans avancée majeure, notamment sur la monnaie, le franc CFA. Par notre envoyée spécial à Yaoundé, Samy Ghorbal
Ils ne s'étaient plus réunis « en présentiel » depuis le sommet extraordinaire convo-qué par le président Paul Biya, en novembre 2019. Les dirigeants de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (Cemac), qui rassemble le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad, ont scellé leurs retrouvailles à Yaoundé, au palais de l'Unité, le17 mars, pour la 15 esession ordinaire de la Conférence des chefs d'État. La rencontre,qui s'est déroulée presque à huis clos, au milieu d'un dispositif de sécurité électrique, dans une ambiance d'état de siège, devait permettre de rattraper le temps perdu. Les mandats du président en exercice de l'organisation régionale, le Camerounais Paul Biya, du président de la Commission, le Gabonais Daniel Ona Ondo, et de plusieurscommissaires étaient en effet arrivés à expiration depuis 2021.
Place à la présidence centrafricaine avec Faustin-Archange Touadéra
Un débat feutré avait agité les chancelleries et tenu en haleine les observateurs : fallait-il que la Cemac s'en tienne à la règle – en vigueur depuis 2010 – qui prévoit une rotation des postes selon l'ordre alphabétique ou devait-elle prendre en compte ce que les diplomates qualifiaient pudiquement de « données géostratégiques particulières » ?En d'autres termes, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, sous le feu des critiques internationales pour avoir laissé les paramilitaires russes du groupe Wagner s'implanter dans son pays, pouvait-il succéder à Paul Biya sans affaiblir l'organisation ? Les chefs d'État, réunis en conclave, ont tranché en préférant ne pas déroger aux règles communautaires. Le président Touadéra, « FAT », au terme d'un intense lobbying, hérite donc de la présidence tournante de l'organisation.
Dans les couloirs, les mines réjouies des délégués centrafricains ne laissaient pas de doute : cette désignation s'apparente à une victoire diplomatique pour Bangui, qui va retrouver un rôle majeur au sein de l'organisation. Les institutions communautaires qui avaient été délocalisées à Malabo en 2013 pour raisons de sécurité se réinstalleront d'ici quelques mois dans la capitale centrafricaine. À la veille de son départ pourYaoundé, « FAT » avait d'ailleurs pris soin d'inaugurer, en compagnie du président sortant de la Commission, neuf villas réhabilitées destinées aux cadres de la Cemac. « La RCA est en passe de sortir de son isolement, note un habitué des arcanes diplomatiques.. Bangui a rétabli le dialogue avec Washington en participant au dernier sommetÉtats-Unis-Afrique, et les rapports avec Paris se sont décrispés après qu'EmmanuelMacron et Faustin-Archange Touadéra se sont vus à Libreville, le 2 mars dernier, en marge du Forum sur les forêts du bassin du fleuve Congo ». Un autre facteur a pesé dans la décision des dirigeants d'Afrique centrale : la crainte d'un « effet domino » sur les nominations à la tête des autres organes communautaires. La mise à l'écart, même temporaire, de Bangui aurait créé un précédent et aurait exacerbé les rivalités natio-nales pour les postes restant à pourvoir. Le très conservateur Paul Biya n'a pas voulu ouvrir cette boîte de Pandore. Et certaines décisions sont même restées en suspens, comme la désignation du successeur du Gabonais Daniel Ona Ondo, qui devrait être équato-guinéen…
Franc CFA : des pistes de réflexion, mais pas de décision
La prudence l'a aussi emporté sur l'autre sujet clivant du sommet, l'éventuelle réforme du fonctionnement du franc CFA de la zone Cemac. En novembre 2019, lors de leur dernière réunion en présentiel, les chefs d'État avaient mandaté la Banque des États d'Afrique centrale (la BEAC, l'institut d'émission) et la commission de la Cemac pour conduire une « réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d'une nouvelle co-opération monétaire avec la France » et proposer des « schémas d'évolution ». À en croire le magazine Jeune Afrique, le rapport confidentiel remis aux chefs d'État envisageait plusieurs options fortes : la clôture du compte d'opérations auprès de la Banque de France, le rapatriement des réserves de change auprès de la BEAC, un possible re-trait des représentants du Trésor français et un changement de dénomination de la de-vise (abandon du franc CFA au profit de du MAC, acronyme de monnaie d'Afrique centrale). Une sorte de copier-coller de la réforme monétaire initiée par les pays de l'UE-MOA (la zone monétaire d'Afrique de l'Ouest, qui prévoit prochainement le passage duCFA à l'éco). Daniel Ona Ondo, dans une interview à RFI donnée la veille du sommet avait même enfoncé le clou, en suggérant que les pays de la Cemac pourraient se passer de la Banque de France s'ils le décidaient, la garantie française de convertibilité n'ayant pratiquement jamais joué. Les dirigeants d'Afrique centrale ont préféré botter en touche. La question n'a pas été mentionnée dans le communiqué final. Le bigbang monétaire attendra…
Cette pause qui ne dit pas son nom chagrinera sans doute les tenants du « souverainisme africain », bruyants contempteurs du franc CFA qui symbolise, à leurs yeux, la perpétuation d'un lien avec cette France qu'ils honnissent. Elle a été accueillie avec beaucoup plus de sérénité dans les travées du sommet. « Ce débat autour du CFA est un débat sans enjeu du point de vue économique, glisse un argentier d'un des pays de la zone. Il est purement idéologique. Des choses peuvent être améliorées, mais le bilan du fonctionnement actuel est loin d'être mauvais. La Cemac a réalisé la meilleure performance continentale en matière d'inflation, avec 5 % en moyenne, soit un écart de 9 points par rapport à la moyenne de l'Afrique subsaharienne. Avec une croissance de 2,9 % en 2022, qui accélérera à 3,3 %, la région ne s'en sort pas si mal. Les véritables défis qui doivent nous préoccuper sont la faiblesse de notre production locale, le déficit d'infrastructures, qui pénalise les échanges, et la faible valorisation de nos ressources naturelles. »
Le Congo de Sassou-Nguesso à l'honneur
La Conférence des chefs d'État a aussi rendu hommage au « champion régional » des réformes, Denis Sassou-Nguesso. Le président congolais a piloté le PREF Cemac, le pro-gramme des réformes économiques et financières, un instrument mis en place en urgence en 2019 pour coordonner les réponses aux crises, garantir la transformation structurelle des économies et renforcer la résilience. « Ce mécanisme a contribué forte-ment à la résilience et la relance des économies de la région, analyse le chef de l'État congolais. Il a permis de lutter contre les déséquilibres alors que la Cemac a été confrontée entre 2020 et 2023 à une triple secousse d'une ampleur inédite, avec la crise du Covid-19, la crise alimentaire née de la guerre en Ukraine et la résurgence de l'inflation, poursuit-il. Aujourd'hui, d'autres défis cruciaux nous attendent dans un monde qui se recompose très vite. Il faut créer les conditions pour la Zlecaf et la libre circulation effective dans l'espace Cemac. Il faut mettre l'accent sur l'intégration par les infra-structures ». Les 11 projets intégrateurs prioritaires retenus pour la période 2023-2028font d'ailleurs la part belle aux corridors routiers et ferroviaires, parmi lesquels le fameux pont route-rail qui doit relier, à horizon 2028, les capitales des deux Congo,Brazzaville et Kinshasa. « La tenue de ce 15 sommet de la Cemac est un acte politique fort, conclut le Premier ministre congolais Anatole Collinet Makosso. C'est un engage-ment et c'est la réaffirmation de la volonté des chefs d'État de réussir l'intégration communautaire et d'accélérer les réformes… »
Source : Le Point
Date : 20-03-2023